Un article de loi suffit parfois à redistribuer des années de certitudes réglementaires. L’application de la loi 10 a entraîné la révision de plusieurs décrets antérieurs, remettant en cause certains dispositifs jugés incompatibles avec ses nouvelles exigences. Certaines entreprises bénéficiaient jusque-là d’un régime dérogatoire ; ce privilège a disparu du jour au lendemain, provoquant une adaptation rapide des structures concernées.Des contradictions subsistent entre la loi 10 et des réglementations sectorielles toujours en vigueur. Cette superposition soulève des interrogations sur la hiérarchie des normes et sur la sécurité juridique des acteurs économiques.
Origines et objectifs de la loi 10 dans le paysage économique français
Adoptée par l’Assemblée nationale le 8 juillet 2025, la loi Duplomb, aussi appelée loi 10, se démarque déjà comme un signal fort pour la régulation des pratiques agricoles et environnementales. Sa naissance procède d’années de négociations âpres entre représentants de l’État, filières agricoles et défenseurs de l’environnement. L’ambition affichée ne laisse pas place à l’ambiguïté : doper la compétitivité de l’agriculture française, quitte à desserrer certaines contraintes réglementaires jugées trop rigides par de nombreux députés.
À peine le texte arrivé à l’ordre du jour du Parlement, la tension monte. Les grandes exploitations et la FNSEA accueillent favorablement la perspective d’une législation plus souple. À l’inverse, la France Nature Environnement (FNE), des collectifs agricoles indépendants, plusieurs professionnels de santé et des victimes de pesticides alertent sur une menace réelle : l’affaiblissement de la protection de l’environnement et de la santé publique. La riposte ne se fait pas attendre : plus de deux millions de citoyens signent une pétition remise à l’Assemblée nationale.
Le bras de fer se poursuit avec la saisine du Conseil constitutionnel qui doit, d’ici au 11 août 2025, trancher sur la légalité de ce texte au regard de la Charte de l’environnement et des directives européennes. À la clé, un possible retour à la case départ pour la loi, réclamé par la FNE. Plusieurs élus redoutent de leur côté une pluie de recours européens susceptibles de bouleverser tout le corpus du droit environnemental français.
Face à l’ampleur des débats, le gouvernement avance ses arguments. Il veut donner davantage de pouvoir aux autorités de régulation et annonce la création d’une commission nationale dédiée. L’objectif : ancrer la France en tête de l’agro-industrie européenne. Mais la société civile rappelle que le clivage entre exigences sanitaires et performances économiques ne saurait être résolu d’un trait de plume.
Quels changements concrets la loi 10 introduit-elle dans la législation actuelle ?
La loi Duplomb bouleverse l’ensemble du cadre agricole et environnemental actuel. Un premier geste fort : l’acétamipride et les néonicotinoïdes réapparaissent sur le marché agricole après avoir été bannis en 2018. Les conséquences ne sont pas minces. Depuis des années, ces substances sont accusées de nuire aux pollinisateurs et de comporter des dangers avérés pour la santé. Malgré les alertes de l’ANSES et les limites imposées par la réglementation européenne, leur utilisation redevient possible.
La loi opère également un virage sur les élevages intensifs et le développement des mégabassines. Les démarches administratives s’allègent pour ce type de projets, alors que la compétitivité est érigée en priorité nationale. Autre inflexion majeure : la disparition du principe de séparation entre la vente et le conseil d’utilisation des produits phytopharmaceutiques. Le vendeur de pesticide pourra, dès à présent, préconiser directement ses propres solutions, brouillant la frontière entre intérêt économique et conseil technique.
Voici quelques mesures emblématiques issues du texte :
- La suppression du certificat d’économie de pesticides pour les marchandises importées
- L’instauration d’un conseil d’orientation pour la protection des cultures chargé d’accélérer le traitement des demandes d’autorisation à l’ANSES
- La révision du contrôle sur le traitement des données concernant la traçabilité des produits
Cette réforme fait naître de sérieuses réserves quant au respect de la Charte de l’environnement et aux exigences fixées par diverses directives européennes sur l’eau et l’usage des pesticides. Le paysage qui se dessine : recours accru aux produits chimiques, fragilisation de la biodiversité et exposition croissante des populations rurales. Autant de signaux qui alimentent un débat très vif sur la profondeur des reculs environnementaux encourus.
Entreprises et consommateurs : quels enjeux et perspectives après l’adoption de la loi 10 ?
L’adoption de la loi Duplomb rebâtit les équilibres des filières agricoles, alimentaires et numériques. Les entreprises s’adaptent à une nouvelle réalité : les filières intensives accèdent plus facilement aux intrants chimiques, pendant que les modèles d’agroécologie ou d’agriculture biologique subissent une pression inédite. Les syndicats les plus puissants, notamment la FNSEA, s’en félicitent, citant un surcroît immédiat de compétitivité. À l’inverse, France Nature Environnement multiplie les mises en garde concernant l’accélération du déclin de la biodiversité et la menace qui plane sur les pratiques vertueuses.
Pour les consommateurs, le contexte se complexifie. La suppression de plusieurs certificats, le retour de substances controversées et des incertitudes sur la traçabilité des produits rendent le paysage moins lisible. S’ajoutent les contraintes européennes : RGPD, DSA, DMA, réglementations RoHS et EcoDesign. Désormais, de nombreuses entreprises du numérique doivent garantir une transparence accrue sur l’impact environnemental de leurs services et la gestion des données.
Un chiffre suffit à mesurer le bouleversement à venir : 6,8 % seulement de la Surface Agricole Utile bénéficie de l’irrigation, dont une part conséquente à destination de l’export. En donnant un coup d’accélérateur à l’irrigation, la loi relance les querelles autour de la gestion partagée de l’eau, dans un contexte où la loi Climat et Résilience impose plus de sobriété. Rien n’est joué pour l’avenir : entre les hésitations du Conseil constitutionnel et la contestation de terrain, l’été 2025 s’annonce sous haute tension.