Le secteur manufacturier européen affiche une croissance deux fois plus lente que celle des États-Unis depuis 2015. Plusieurs États membres enregistrent une chute continue des investissements industriels, malgré des politiques publiques destinées à stimuler l’innovation.
Ce ralentissement structurel coexiste avec une dépendance accrue aux importations de technologies clés et de matières premières stratégiques. Certains segments industriels, pourtant historiquement compétitifs, peinent à se maintenir face à la concurrence mondiale et aux mutations rapides des chaînes de valeur.
Où en est vraiment l’industrie européenne aujourd’hui ?
L’industrie européenne se trouve à un tournant : son influence dans le PIB de la zone euro ne cesse de diminuer, érodée par la désindustrialisation et la pression de rivaux internationaux. Le dernier rapport Draghi est sans appel : la part de l’industrie manufacturière dans la richesse produite par l’Union européenne frôle les 15 %, alors qu’elle dépassait les 20 % au début du siècle.
Ce n’est pas un simple jeu de chiffres. L’emploi industriel subit une véritable saignée : en vingt ans, plus de trois millions de postes ont disparu, touchant surtout l’Europe du Sud et de l’Est. France, Italie, Espagne encaissent de plein fouet ce recul, tandis que l’Allemagne, longtemps pilier, commence elle aussi à fléchir face à l’Asie et aux États-Unis.
L’Europe industrielle, ce n’est pas un bloc monolithique. C’est un patchwork où quelques géants du secteur aéronautique, de la chimie ou de la mécanique tirent encore leur épingle du jeu, mais où l’immense réseau de PME et d’ETI reste fragile, parfois vacillant.
Voici quelques lignes de fracture qui structurent cette réalité :
- Productivité : les gains annuels plafonnent à 1 %. Les États-Unis font deux fois mieux.
- Croissance : sur dix ans, l’industrie européenne avance à un rythme bien plus lent que ses concurrents directs.
- États membres : le nord de l’Europe conserve une assise solide, mais le sud peine à se réinventer et à retrouver de l’élan.
La publication du rapport Draghi agit comme un signal d’alarme. Mario Draghi lui-même pointe la nécessité de repenser la souveraineté industrielle à l’échelle de l’Union. Fragmentation, absence de stratégie commune : l’Europe risque de décrocher si elle ne réagit pas.
Des défis multiples : énergie, concurrence mondiale et fractures internes
La faiblesse de l’industrie de l’Union européenne se manifeste d’abord sur le terrain de l’énergie. Les prix de l’électricité et du gaz, gonflés par la guerre en Ukraine et par une dépendance chronique aux importations, pèsent lourd dans la balance. Aujourd’hui, un industriel de la zone euro doit composer avec une facture énergétique parfois deux fois supérieure à celle d’un concurrent américain. Ce handicap s’ajoute à la difficulté d’accéder aux matières premières, un autre point faible exposant le secteur manufacturier aux secousses extérieures.
Le second défi vient de la concurrence mondiale. Les exportateurs asiatiques, Chine en tête, grignotent les parts de marché sur les créneaux les plus avancés. Les États-Unis, soutenus par l’Inflation Reduction Act et une politique industrielle assumée, attirent capitaux et cerveaux. Sur le Vieux Continent, le manque de gains de productivité freine l’ascension vers le haut de gamme.
Troisième écueil : les fractures internes. Les États membres peinent à élaborer une position commune, que ce soit sur la défense européenne ou sur l’harmonisation du marché unique. Les différences de compétitivité, de fiscalité ou de réglementation cloisonnent encore les économies. Même l’Allemagne, longtemps moteur de l’industrie européenne, connaît aujourd’hui des remises en question. Le sud du continent, lui, cherche encore une dynamique nouvelle.
Coût énergie | Gains de productivité (an) | Dépendance matières premières |
---|---|---|
UE : 2x États-Unis | 1 % (UE) / 2 % (USA) | Élevée (UE) |
Le Québec et d’autres régions sont-ils exposés aux mêmes risques ?
La concurrence mondiale et la dépendance extérieure ne s’arrêtent pas aux frontières de l’Union. Le Québec, par exemple, observe ce mouvement avec attention. Son industrie, largement tournée vers l’export, profite d’un accès direct au marché nord-américain. Cela n’empêche pas la pression des coûts énergétiques ni la volatilité des matières premières de faire sentir leurs effets.
L’hydroélectricité constitue un avantage clé pour le Québec. Pourtant, la filière manufacturière locale reste tributaire des mêmes chaînes d’approvisionnement mondiales que l’Europe. La dépendance à l’import pour des composants critiques expose au risque de rupture, comme l’ont démontré les récentes pénuries de semi-conducteurs.
Dans d’autres régions comme l’Asie du Sud-Est ou le Brésil, le tableau se complique aussi. Même avec des ressources naturelles abondantes ou une énergie peu coûteuse, la robustesse industrielle dépend désormais de la capacité à absorber les chocs géopolitiques, à diversifier les fournisseurs et à s’adapter vite aux exigences environnementales.
Quelques exemples illustrent ces vulnérabilités mondiales :
- Exposition aux marchés d’exportation : Québec, Europe, Asie
- Vulnérabilité aux ruptures de chaîne : semi-conducteurs, métaux rares
- Pression sur la compétitivité : énergie, réglementation, innovation
Que l’on regarde la zone euro, le Québec ou les économies émergentes, le constat s’impose : la capacité d’adaptation, la diversification des sources et l’investissement dans l’innovation sont les seuls remparts contre l’érosion de la compétitivité.
Quelles pistes concrètes pour relancer l’industrie de l’Union européenne ?
La Commission européenne et plusieurs gouvernements multiplient les annonces, mais les données restent implacables : la productivité industrielle stagne, les investissements patinent, les écarts entre États membres s’accentuent. Face à la concurrence mondiale et à la transition écologique, comment reconstruire une industrie forte et durable ?
Trois priorités s’affirment. Premièrement, la politique industrielle doit s’unifier et gagner en efficacité. Les initiatives européennes doivent viser large : multiplier les projets communs, mutualiser les moyens financiers, cibler les filières stratégiques comme les batteries, les semi-conducteurs, l’hydrogène ou la défense. Le rapport Draghi le rappelle : seule une coordination à l’échelle continentale permettra de rivaliser avec la Chine ou les États-Unis.
Deuxième levier, la transition numérique réclame un investissement massif dans la formation et l’accompagnement des PME. La digitalisation transforme les chaînes de valeur. Sans accès aux compétences pointues ni aux financements adaptés, les entreprises européennes risquent la marginalisation. La Banque centrale européenne et la BEI disposent d’outils pour accélérer ce mouvement.
Enfin, la transition écologique ne doit pas être vue comme un frein, mais comme une source d’innovation. Prendre de l’avance sur les technologies propres, la sobriété énergétique, la gestion et la valorisation des déchets : ce sont des axes d’investissement déterminants. L’avenir de l’industrie européenne dépendra de sa capacité à transformer ces bouleversements en opportunités de croissance et de souveraineté.
Sur le fil de l’histoire industrielle, l’Europe s’offre encore une chance. Reste à la saisir avant que le train ne passe définitivement.